Interview : Julia Pinquié pour "Le Chercheur"

Bonjour Julia, pour Terre mère tu as une triple casquette puisque tu es à la fois l’illustratrice de la couverture, celle des illustrations intérieures et qu’en plus ton texte Le Chercheur a été retenu pour paraître dans l’anthologie.

Bonjour !

Est-ce que cette activité d’écrivaine est récente ou t’y adonnes-tu depuis aussi longtemps que la création graphique ?

C’est un réel plaisir de pouvoir m’amuser dans ces trois domaines !

Plus jeune, j’écrivais beaucoup de nouvelles et autres courts récits, puis j’ai fait une pause dans l’écriture jusqu’à mon master de création littéraire où j’ai redécouvert le plaisir de poser ses mots sur papier !

Il est cependant très clair que la création graphique est, elle, omniprésente depuis l’âge de tenir un crayon ; elle a même façonné ma façon d’écrire qui est plutôt graphique !

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Les deux magnifiques couvertures que tu as réalisées pour Kelach (Contes nippons et Terre mère) reprennent la technique que tu utilises pour la création de tes lampes. Peux-tu nous parler de leur fabrication ?

Merci du compliment, ha ha !

C’est la technique du papercut, c’est-à-dire que je viens évider des parties de la feuille jusqu’à ce que les formes apparaissent ; je détaille les tissus, les cheveux, le décor pour que les ombres chinoises surgissent et remplissent l’espace. C’est une technique précise qui prend du temps, mais qui est extrêmement relaxante !

Les lampes ont effectivement une première partie papercut noire – dentelée – puis un fond coloré, ce qui ajoute du contraste ; viennent ensuite le travail du bois et l’assemblage de la totalité.

C’est la même chose pour les couvertures, le papercut noir et l’arrière-plan sont faits séparément puis assemblés.

Quel a été ton choix pour illustrer chaque nouvelle ? T’es-tu inspirée d’un résumé de chaque histoire, as-tu lu chaque texte intégralement, as-tu échangé avec les auteurs ?

Chaque nouvelle offre des possibilités différentes, j’avais demandé si certains auteurs avaient des envies qu’ils considéraient essentielles et ils avaient un droit de regard sur les illustrations. J’ai travaillé avec Cécile Durant avec, tout d’abord, des croquis puis une version quasi définitive pour ensuite noircir et ombrer. La plupart du temps, je lisais la nouvelle entièrement pour en extraire les choses qui m’avaient marquée, une atmosphère, le ton général du récit. Il s’agit parfois de détails, de personnages ou juste une sorte de décor qui installe l’univers.

Tu les as tous « encadrés ». Pour moi, j’y vois des hublots, des fenêtres qui s’ouvrent sur l’univers contenu dans chaque nouvelle. Qu’en est-il pour toi ? Pourquoi ce choix ?

C’est exactement ça ! Un recueil de nouvelles, c’est le carrefour entre tellement de mondes divers ! C’est comme un musée, une galerie qui aurait réuni différents artistes. Le cadre est dans sa forme, identique (puisque c’est la même anthologie), mais orné différemment selon le texte dans lequel il se trouve (parce que chaque auteur et autrice est unique).

Pour revenir à ton texte, il nous parle d’une quête, celle de la nature disparue, d’un Éden pour les survivants méritants de l’humanité. On pourrait presque faire un parallèle avec La Horde du contrevent d’Alain Damasio, tant les efforts demandés à ton chercheur sont colossaux. Parle-nous de cette quête et de ce qu’elle représente pour toi.

C’est une de mes lectures ! L’Éden disparu ne peut pas être facile à trouver, c’est dans sa définition même, l’Humanité ne peut s’en approcher aisément, pas sans souffrir, pas sans mettre à l’épreuve esprit et cœur. Il y a évidemment une question écologique derrière, mais aussi humaine : où allons-nous ? Vers quel horizon ? Dans quel but ? Quels sacrifices sommes-nous prêts et prêtes à faire ?

J’ai particulièrement aimé ta syntaxe inhabituelle associée à une mise en page que je qualifierai de graphique. Penses-tu que cela vient de ta facette illustratrice et sculptrice de lampe ? Conçois-tu l’écriture comme une prolongation de cet art ?

Je suis ravie que cela soit l’image renvoyée ! Mon écriture est totalement façonnée par ma pratique graphique, dans la mise en page bien sûr qui ajoute une autre histoire, qui fait parler le vide et le silence et les images évoquées également, ainsi que dans mon processus d’écriture. Je vois ma nouvelle comme je verrais un de mes tableaux, j’en connais le croquis, et j’en vois les paragraphes, les chapitres, même les alinéas et morceaux centrés. J’enlève ensuite du texte comme je le fais avec le papier, je taille pour mettre en exergue l’invisible.

Du moins, j’essaie !

Le style que tu as choisi pour cette nouvelle est parfaitement adapté à la déchéance mentale du chercheur. Cette perte cognitive est-elle pour toi une conséquence de son aliénation à une quête et une croyance ou à une solitude forcée ?

La folie est une conséquence quasi obligatoire de la vie des Humains restants, ils et elles sont élevés avec ce manque, ce vide : l’Éden, et avec cette faute. Et puis on leur a mis en tête qu’on pouvait comparer les existences, qu’une quête pouvait valoir plus qu’une vie, et que tout était de la faute des ancêtres. Il n’y a plus de communication, plus de remise en question, juste cette croyance qui régit tout, qui pense à la place des habitants et habitantes.

Après, la solitude, les mois de recherche infructueuse, les gaz et la perte de notion du temps n’arrangent rien ! De toute façon, le narrateur serait devenu fou dans la cité comme à l’extérieur.

Merci pour cet entretien, Julia, et pour les talents que tu partages avec les Lutins de Kelach. Je te laisse libre de la conclusion.

Merci beaucoup de m’avoir offert la possibilité de faire ces couvertures et de lire des auteurs et autrices aussi inspirants ! Quant à une conclusion, je dirais que la seule quête qui n’est pas aliénante, c’est celle de la création !

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