Interview : Cécile Durant pour "Les Barrières des Mondes"

Cecile durant

 

Bonjour Cécile, nous avions déjà le plaisir de te compter parmi les Lutins de Kelach comme directrice de trois de nos collections pour lesquelles tu fais de l’excellent travail, et aujourd’hui, nous t’accueillons en tant qu’autrice. Avant de te parler de ton roman young adult, peux-tu évoquer avec nous ton envie d’écrire ? Y a-t-il eu un déclencheur ? Est-ce une passion née dans ton adolescence ou plus tard ?

Bonjour !

Je pense que mon envie d’écrire, ou plutôt celle d’inventer des histoires, est née bien avant l’adolescence. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé créer des personnages pour leur prêter des caractères, des relations et des aventures, que ce soit pour mes peluches, dans mon esprit rêveur ou sur le papier dès mon enfance. Je me souviens tout de même d’un moment décisif à l’âge de onze ans : la rédaction d’un conte merveilleux pour le cours de français en 6e. J’avais obtenu une si bonne note et de tels éloges de ma professeure que je l’avais même aussitôt envoyée à une revue pour jeunes lecteurs ! À partir de ce moment-là, j’ai commencé à écrire une grande saga romanesque médiévale avec une amie, tout en développant avec ma cousine un univers fantastique (celui de Dan dans Les Barrières des Mondes !) qui fut couché sur le papier l’année de mes treize ans.

Pourtant, ce n’est que bien des années plus tard, après des études de lettres et l’envie de mettre en mots les histoires de Dwenya et Dya, que j’ai commencé à vouloir faire de l’écriture l’un des piliers de ma vie. En quelque sorte, ce sont elles qui ont fait de moi une écrivaine !

 

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Peux-tu, en quelques lignes, nous présenter la trame principale de ton roman ?

En quelques lignes, cela va être difficile, tant la trame est dense. Mais je vais essayer de ne pas décrire tout le livre !

Nous allons suivre le parcours de Dwenya qui est une Feohtaria, c’est-à-dire une jeune guerrière issue d’une lignée de Combattantes investies de pouvoirs spécialement créés pour lutter contre les Yfels, des morts-vivants qui sèment depuis des milliers d’années la peur, la violence et le désespoir à travers toute Gaa Awya – la « Terre Mère » dans la langue originelle de ce monde. Toujours plus nombreux au fil des siècles, les Yfels n’ont qu’un seul objectif : détruire toute forme de vie sur la planète.

 

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Au début du roman, Dwenya affronte, pour la première fois depuis deux ans, toute une horde de créatures venues attaquer sa communauté retirée du monde, alors qu’elle vient tout juste d’être investie de la Force, ce pouvoir hérité de ses aïeules, qui attire les Yfels. Lorsqu’un dragon l’attaque, Dwenya se retrouve gravement blessée et frôle la mort. Elle se réveille alors dans le corps de Dan, qui manque de mourir elle aussi, dans un naufrage, visiblement sur un autre monde et à une autre époque. Avant de se réveiller dans la peau de Dya, dans son lit, dans notre univers.

En effet, Dwenya/Dya possède depuis toujours la capacité de voyager entre les dimensions. Chaque fois qu’elle s’endort sur Terre, elle se réveille sur Gaa Awya, et vice versa.
Ce réveil inattendu sur une troisième dimension pousse Dya à penser que l’ordre établi entre les dimensions parallèles est bouleversé. L’équilibre entre les forces de la vie et de la mort sur Gaa Awya semble également rompu : jamais les Yfels n’ont été si nombreux. La Terre est, quant à elle, de plus en plus menacée par une cascade de désastres écologiques qui pourraient mener à la sixième grande extinction. L’humanité est en péril sur chaque dimension. Pour Dya/Dwenya, cela ne peut pas être une coïncidence.

Sur Gaa Awya, Ar-Anrel, l’homme qui a éduqué puis abandonné Dwenya, vient la retrouver sur les vestiges du champ de bataille. Il la somme de partir à la recherche de l’Invincibilité, un pouvoir qu’elle a perdu onze ans plus tôt. Elle doit le récupérer avant que les Yfels ne la tuent et n’éradiquent ainsi sa lignée – arme ultime contre ces morts-vivants. Commence alors un long voyage pour Dwenya sur Gaa Awya. Elle doit non seulement affronter ses ennemis à maintes reprises, mais aussi les zones d’ombre de son histoire familiale, de son passé et de sa relation compliquée avec son tuteur, qui est un Yfel !

Dans chaque dimension, Dya/Dwenya se fera de nouveaux amis qui, malgré leurs divergences, l’épauleront dans ses quêtes, et lui feront découvrir d’autres manières de vivre, de concevoir la liberté et le bonheur, qui semblent être les principales sources de leur exceptionnelle résistance aux Yfels – mais aussi les clefs de l’avenir de la Terre.

 

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Nous voici donc face à un enjeu majeur, celui de sauver au moins deux univers, l’un menacé par une incarnation du Mal (même si, comme nos lecteurs le verront, mes termes sont très réducteurs), l’autre par le désastre écologique annoncé pour notre planète. Tout comme dans Terre Mère, la dernière anthologie que tu as dirigée pour les Éditions Kelach, un propos clairement écologiste ressort de ton texte, mettant l’Homme et le peu de cas qu’il fait de notre biotope et même de ses contemporains au centre des maux qui nous menacent. Nous alerter par l’intermédiaire de tes écrits est-il important pour toi ? Nécessaire ? Incontournable ?

Comme tu le soulignes justement, il n’y a pas de grand « Mal » dans mon univers, je n’emploie jamais ce mot, qui selon moi enferme la réalité dans un tiroir étiqueté, sans se demander ce qui l’a généré, ou comment les autres le conçoivent. Même si les morts-vivants de Gaa Awya portent le nom d’Yfel, une forme ancienne de l’anglais evil, les ennemis de ma saga ne sont pas juste des « méchants » à tuer, fin de l’histoire.

J’emploie plutôt le concept de violence, le « Wis » de ma saga, qui transforme les êtres vivants en tueurs – en des sortes de vampires sur Gaa Awya, en toutes sortes de criminels sur Terre.

Il est vrai que l’écologie est une question sur laquelle je me penche régulièrement ces dernières années, mais pour ce qui est des Barrières des Mondes, elle a été injectée presque malgré moi dans l’histoire de Dya/Dwenya tout au long de l’écriture de la saga, alors qu’elle était absente de mon idée de projet de roman au départ (il y a plus de vingt ans, il faut dire). Au cours du développement de mon univers, j’ai voulu comprendre mes Yfels, savoir comment ils en étaient arrivés là, ce qui les motivait, et au fil de mes recherches – à l’image de celles de Dya –, il m’est apparu que le respect des Hommes et celui de la Terre étaient liés.

Sans vouloir à tout prix faire de mes écrits des récits qui informent, alertent, je couche naturellement sur le papier les préoccupations qui me tiennent à cœur au quotidien et qui animent également mes personnages, qui me ressemblent.

En tant que lectrice, je suis aussi toujours plus intéressée par une histoire qui me fait réfléchir sur l’humain, me remettre en question, qui m’ouvre des fenêtres sur un mieux-vivre, avec mes proches, mes concitoyens ou juste moi-même.

Et comme tout cela me semble lié au respect envers les autres, envers tous les êtres vivants, la question du respect de notre Terre Mère revient toujours à un moment ou un autre dans mes projets d’écriture.

 

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 Penses-tu que, installés dans notre confort civilisé, nous en faisons assez pour préserver notre monde, ne serait-ce que le garder vivable pour notre civilisation ?

Malheureusement, je pense que notre monde est déjà en train de courir vers la sixième grande extinction, comme l’analysent les spécialistes, ce qui aura forcément – a déjà, en vérité – des répercussions sur notre espèce qui dépend du vivant pour survivre elle-même (ne serait-ce que des poissons dans les océans qui sont en train de s’acidifier et se réchauffer, des végétaux qui ont besoin d’être pollinisés par les insectes dont les populations s’effondrent, etc.). Sans parler des ressources non renouvelables qui touchent à leur fin (par exemple, on voit bien avec l’actuelle flambée du prix de l’essence que le pétrole ne coulera pas à flots ad vitam aeternam, et il en va de même pour d’autres ressources indispensables à notre société technologique). Ce triste futur est l’une des préoccupations majeures de mon héroïne et sera d’ailleurs central dans le troisième tome des Barrières des Mondes. Même s’il est réaliste par rapport aux projections des climatologues, il se veut aussi porteur d’espoir.

 

Parler de la menace qui plane sur nous à travers un roman te semble-t-il une simple bouteille jetée à la mer ou est-ce une nécessité que cette préoccupation écologique passe par l’ensemble des médias possibles ?

Il y a un paragraphe dans Comment tout peut s’effondrer de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, appelant les artistes à alerter sur l’Effondrement à venir. Avant même de le lire, c’était une évidence pour moi : il faut prévenir pour limiter la casse et se préparer pour le monde de demain, et la fiction en est le meilleur moyen, car elle touche avec des émotions quand la raison préfère faire l’autruche. Cependant, je ne me fais guère d’illusions : je sais que ce n’est pas l’art qui gouverne le monde et que nos sociétés sont prises dans des engrenages économiques et financiers auxquels leurs dirigeants ne veulent pas mettre fin, quoi qu’il en coûte.

 

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À mon sens, ton roman à un côté très « girl power », même si ce n’est pas une histoire réservée aux lectrices mais une aventure qui séduira un large public. Comment as-tu construit tes personnages féminins ? Sont-ils nés d’un besoin scénaristique ou l’histoire s’est-elle construite autour de certaines figures ? As-tu voulu leur donner des caractères dérivants de personnes réelles ou fictives ? Ou se sont-elles construites « d’elles-mêmes » ?

Pour répondre tout d’abord à ta première question, j’aimerais rappeler que le « girl power » est un mouvement culturel promouvant l’égalité des droits civils et politiques des femmes avec les hommes. Il n’en est pas question dans cette trilogie, qui s’intéresse à d’autres sujets (notamment parce que cela se passe en partie sur une autre dimension où cela n’a pas lieu d’être, et parce que l’écologie et la non-violence sous toutes ses formes sont les premiers combats de l’héroïne sur Terre). Mais peut-être ce sera le cas dans un prochain roman !

Si par cette expression tu sous-entendais que je voulais montrer le pouvoir des femmes, à vrai dire, ce n’était pas mon intention première. Oui, je parle de retrouver sa puissance, mais pour tout un chacun. Le personnage principal s’est naturellement imposé comme une femme pour moi, car j’écris ce que je connais. Quant à son entourage proche, notamment celui du début du roman, il s’est constitué majoritairement de femmes, car moi-même, à l’époque où j’ai imaginé cette histoire, j’évoluais dans un cercle de proches plutôt féminins, et j’ai inconsciemment reproduit une certaine part de ma vie – et de mes envies. Ce qui est amusant, c’est que certains lecteurs sont surpris de découvrir dans ce tome 1 un groupe exclusivement féminin à la tête d’une petite troupe de soldats, alors que la fantasy regorge de romans dont les personnages sont tous – ou presque – masculins, sans que cela ne les choque. Dans la troupe des sœurs d’armes, il ne s’agit pas d’un matriarcat – même si j’aimerais écrire sur ce sujet, souvent mal connu et injustement pris pour un patriarcat inversé –, c’est juste le hasard et le courage qui ont mis ces six filles à l’origine de cette petite armée !

Comme je l’ai dit, mes personnages comme ma trame s’inspirent de ma vie ou de films et séries qui m’ont particulièrement marquée. J’ai souvent besoin d’un visage réel, d’un nom parfois, pour m’aider à faire prendre corps à mon personnage, à lui donner un début de personnalité, à le rendre palpable. C’est ainsi que certains embryons des personnages féminins des Barrières des Mondes ont d’abord été empruntés à une série qui m’a inspiré la trame première de ma saga, avant d’adopter quelques traits de caractère ou physiques de mes propres « sœurs » de cœur (mes proches amies dans la vraie vie), pour devenir finalement des personnages à part entière avec leurs propres visages et personnalités. C’est en interagissant les unes avec les autres que mes personnages féminins se sont « construits » d’eux-mêmes, comme tu le dis si bien. Gwenya et Skot étaient d’abord avant tout des « outils » dans la construction de mon histoire de passation de pouvoirs malmenée, alors que les « sœurs d’armes » étaient nées d’une envie de voir évoluer un groupe de femmes à la tête d’une armée, mais au final, Gwenya et Skot sont devenues des personnages centraux de l’intrigue qui vont sans cesse chambouler la vie extérieure comme intérieure de Dwenya, alors que Clair-Ance, June et les autres vont également revenir régulièrement dans la vie de Dwenya pour la pousser toujours plus loin sur son chemin.

Merci bien, Cécile. Tu reviendras sans nul doute nous en dire plus prochainement d'autant que le deuxième tome intitulé "convergences" vient de parraître et nous plonge d'entrée de jeu dans cet univers multiple.

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