Entretien : Églantine Gossuin pour Contes nippons
- Le 09/06/2021
- Dans Interviews
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Bonjour Églantine, après ton passage dans Fantastique au pays de Chièvres, les Lutins de Kelach ont le plaisir de te retrouver dans Contes nippons avec une nouvelle inédite. Question obligée pour les auteurs de cette magnifique anthologie : as-tu, un roman, un film ou plus généralement une œuvre japonaise qui t’a particulièrement marqué et, si oui, pourquoi ?
>> Sans aucun doute les chefs-d’œuvre du cinéma d’animation d’Hayao Miyazaki. Je me remémore la toute première fois où je m’y suis plongée en visionnant Le Château ambulant ; quelle explosion de joie et d’inspiration ! Les couleurs, les musiques, les décors, l’envoûtement tout simplement dans lequel vous emporte chaque détail du film. Rien n’est laissé au hasard avec Mr Miyazaki. D’ailleurs, j’écoute régulièrement les bandes originales des films du studio Ghibli composées par Joe Hisaishi durant l’écriture.
En ce qui concerne la lecture, je garde un souvenir très vif du roman de Takuji Ichikawa Je reviendrai avec la pluie, sa poésie m’a beaucoup émue.
« L’Esprit des pivoines » nous transporte en 1274 dans un Japon médiéval à la rigueur hiérarchique. Tu y mets en scène essentiellement des femmes et, de-ci de-là, tu évoques leur condition inférieure au sein d’une société patriarcale. L’écriture est-elle un moyen pour toi de faire passer des messages qui te sont chers ?
>> Tout à fait, en tout cas j’aimerais que ce soit le cas ! Chanteur, dessinateur, poète, écrivain… Tous les artistes veulent faire passer des émotions, des messages textuellement parlant à leur public. Si nous prenons la parole à travers notre art, c’est pour donner quelque chose à autrui et par le retour que l’autre nous en fait, l’œuvre prend vie.
Amener une réflexion, un regard sur la condition féminine à cette époque, c’est à la fois permettre un contraste avec la société actuelle, mais aussi mettre en exergue un sujet bien d’actualité dans l’engouement du mouvement #Metoo.
À l’heure du confinement où les chiffres relatifs aux femmes victimes de violence conjugale n’ont fait que grimper, où l’artiste, Hoshi, doit revendiquer son droit de chanter ses propres chansons, où les salaires des hommes sont encore plus élevés que ceux des femmes… La place de la femme dans la société se défend plus que jamais ! Je reste positive, bien entendu, les choses ont bien avancé et c’est là toute l’importance du contraste ! Mais il reste du chemin à parcourir pour qu’un jour, la femme soit pleinement l’égale de l’homme. Alors nous pourrons dire que la société aura enfin évolué.
À travers « L’Esprit des pivoines », je voulais donner la place aux femmes et montrer leur force.
Toutes ces femmes, ces filles, ces mères, ces sœurs, ces grands-mères, ces amies… qui donnent naissance, élèvent, défendent, aiment, relèvent, travaillent, avancent… pour les leurs ; c’est une forme d’hommage que je leur rends en quelque sorte.
Le harcèlement sexuel par des supérieurs hiérarchiques résonne énormément dans les médias et dans les esprits ces derniers temps. Ce sujet est un des éléments de ta nouvelle, mais tu ne l’abordes que brièvement. Veux-tu nous en dire plus ?
>> Écrire sur le Japon est un exercice extrêmement entêtant, plus on s’y plonge, moins on veut s’arrêter. Je voulais m’exprimer sur la diversité de la culture japonaise, le format de la nouvelle limitant le champ d’action, je n’ai pas pu entrer dans les détails. Le fallait-il vraiment ?
Ce n’était pas mon sujet de départ, ça s’est imposé à moi. En approfondissant mes recherches sur le Japon d’époque et la condition de la femme, je me suis dit que je ne pouvais pas faire sans en parler, le nommer. Parce que c’était une réalité, connue de tous, à l’époque, en Orient comme en Occident. Encore de nos jours, c’est un sujet qui reste tabou, sur lequel il est complexe de s’exprimer. J’ai décidé de concentrer l’énergie de l’écriture sur la capacité de ces femmes à faire preuve de courage, de force pour s’en sortir. À travers « l’ubume » et les répercussions sur les protagonistes qui sous-tendent le récit, on perçoit combien l’horreur vécue engendre la souffrance sur le long terme, tels des ronds dans l’eau.
Poursuivons sur un sujet plus léger. Pourquoi avoir choisi la pivoine comme symbole central de ton histoire ? Est-ce une fleur que tu apprécies particulièrement ou cela allait-il de soi dans le contexte de l’histoire ?
>> Je voulais un récit où on retrouve une proximité entre la nature et l’homme. L’action se déroulant autour d’une herboristerie, mes recherches sur les plantes médicinales me conduisirent à la pivoine, plante très appréciée au Japon et dont la symbolique m’a séduite. En effet, la pivoine se veut symbole de bravoure, d’honneur et de pudeur. Cela correspond plutôt bien à Haruki et sa grand-mère, n’est-ce pas ?
Lorsque tu imagines un personnage, qu’est-ce qui prend forme d’abord ? Son physique ? Son esprit ? Ses liens avec les autres personnages ?
>> Généralement, c’est tout un processus autour de mes petits rituels, ma tasse de thé, mes musiques, mon carnet d’écriture… Puis je cherche et cherche encore. Dans un premier temps, un nom ! C’est très important pour moi. Le nom signifie beaucoup de choses sur la personne qui prend forme sous ma plume. Puis je m’axe plus sur le tempérament du personnage, son vécu, ses projets, ses qualités, ses défauts, ses craintes… Je ne fixe des critères physiques qu’après coup. Il faut du temps pour maturer un personnage, pour lui donner de la substance. Sans substance, c’est difficile de s’identifier et en tant que lectrice également, c’est cela que je recherche pour qu’un récit puisse me convaincre.
Haruki et sa grand-mère ne sont pas que des herboristes, mais aussi des chasseuses de yōkaï. Leur boutique est emplie de potions, de colifichets et de talismans. Es-tu superstitieuse et as-tu un objet porte-bonheur que tu emportes partout ?
>> Je ne dirai pas que je suis superstitieuse. Mais je crois à la force de l’amour et de nos souvenirs d’enfance, on peut y puiser beaucoup de force bien des années plus tard. Cependant, j’ai toujours trouvé cela joli et intéressant les façons que les gens ont de toucher un objet en métal lorsqu’ils voient un chat noir ou encore les arbres à clous où on fait pendre des linges appartenant à une personne malade en espérant la guérir. Dans ma région rurale, on parle encore de « rebouteux » et de la Chapelle de la Fontaine dont l’eau guérissait, ma grand-mère se promenait avec des marrons dans les poches pour contrer le mauvais esprit… Finalement, cela fait partie de notre patrimoine, de notre histoire, vrai ou pas ? ;-)
La grande beauté réside dans la force de la conviction que l’on met à être protégé, guéri, aidé à travers cet objet, talisman…
Outre la promotion des deux anthologies kelachiennes dans laquelle tu te trouves, as-tu des projets littéraires actuels dont tu peux nous parler ?
>> Rien de concret actuellement, bien que des idées à foison. Je persévère dans cet exercice subtil du maniement des mots pour aboutir, un roman ? Un jour, peut-être !
Merci, Églantine, pour cette deuxième interview que tu nous as accordée. As-tu quelques mots à ajouter pour conclure ?
>> Une histoire est le résultat de rencontres, d’échanges, de trouvailles, de découvertes, c’est une tranche de vie déposée sur le papier. J’aspire à ce que les lecteurs de « L’Esprit des pivoines » fassent ce voyage, j’espère qu’il leur sera aussi agréable que fut le mien en l’écrivant.
« Nos vies sont comme le vent ou les sons… Nous naissons, résonnons avec ce qui nous entoure… Puis disparaissons. » Nausicaä de la Vallée du Vent – Hayao Miyasaki
Après ce très bel interview, vous ne pouvez pas résister à l’envie d’en découvrir plus sur « L’Esprit des pivoines » et les Contes nippons ; il vous reste donc à cliquer sur la couverture :
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