Interview : Christophe Germier pour "Un os à graver"

Bonjour Christophe, c’est à l’occasion de l’AT Terre Mère que tu as rejoint les auteurs des Lutins de Kelach. Publié depuis 2017, tu es un nouvelliste prolifique. Comment choisis-tu les AT auxquels tu vas participer ? Pourquoi t’être arrêté sur Terre Mère ?

Prolifique ! Carrément ! On va surtout dire que c’était le cas quand j’avais un peu plus de temps libre, et aussi étrange que cela puisse paraître, avant la période 2020-2021. Certaines nouvelles publiées ces deux dernières années sont en réalité des sélections ultérieures qui ont connu quelques ralentissements avant d’être menées à terme. En ce qui concerne le choix des appels à textes, j’avoue : c’est à l’inspiration. Certains appels me parlent tout de suite, d’autres non. Terre Mère a rapidement résonné en moi, cela m’a permis de coucher sur le papier une idée qui mûrissait depuis quelque temps déjà.

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Dans Un os à graver, tu nous plonges avec délectation dans les croyances maories. Toi qui par ailleurs es amateur éclairé de l’imaginaire arthurien, mais aussi du Trône de fer, as-tu aussi une passion de longue date pour la culture maorie ou as-tu travaillé spécialement le sujet pour ta nouvelle ?

Alors, je n’ai pas une passion de longue date pour la culture maorie puisque ma rencontre avec celle-ci s’est faite en 2018 à l’occasion d’un voyage de six mois en Nouvelle-Zélande. Cela dit, lorsque je visite un pays, j’ai toujours un peu la même méthode : je me rue dans une librairie pour acheter des livres de contes et légendes endémiques afin de me plonger dans ce que peuvent croire ou se raconter les gens. Je trouve que ça aide à s’imprégner de l’atmosphère des lieux, plutôt que d’y plaquer des projections construites en amont du voyage.

En l’occurrence, c’est ici un tout petit bouquin qui recense les principales histoires maories qui m’a ouvert cette porte, avec bien sûr, la visite du pays et de sa culture, mais aussi bien côté indigène que côté colons. On trouve dans ce livre l’histoire de la mort de Maui, qui est une des plus populaires.

Il se trouve qu’au moment d’écrire la nouvelle, j’étais également plongé dans le récit semi-autobiographique d’amis connus sur place, Duncan et Elaine (à qui le texte est dédié), respectivement 72 et 76 ans aujourd’hui. Le texte autoédité, intitulé The West Coast Whitebait Children: Intimate Secrets Shared With a Stranger (qui pourrait être traduit par Les Enfants fretins de la côte Ouest : Secrets intimes partagés avec un étranger), raconte les passés de ceux qui ont vécu de la pêche en embouchure de rivière sur la côte Ouest pendant leur enfance sur l’île du Sud et qui y retournent inexorablement chaque année. L’histoire de cette femme qui disparaissait les jours de pluie pour retrouver son amant vient directement de cette description d’un quotidien dans des conditions de vie difficiles. Même si, bien sûr, l’issue n’est pas du tout la même.

J’ai également travaillé avec les cartes topographiques de la région ouverte, pas mal de photographies de la rivière Oparara, pour essayer d’être le plus proche possible de la réalité de l’endroit. Une précaution peut-être inutile, mais c’est comme ça que je travaille. Il y a donc à peu près autant de réel que d’imaginaire dans cette nouvelle, et c’est cette infusion que je me plais généralement à exploiter.

 

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image par Puzi (Pixabay)

 

Quel aspect de cette culture te fascine le plus ?

L’idée que les hommes ne soient que les dépositaires temporaires de la terre dont ils ont la garde. Des locataires en somme, plutôt que des propriétaires. Cela pose beaucoup de problèmes aujourd’hui, cela en a posé encore plus par le passé.

Il faut savoir qu’en Nouvelle-Zélande, la fête nationale commémore le jour où les Européens ont extorqué la terre aux Maoris en créant un mot de toute pièce dans leur langue pour les déposséder. Ce qui est un vrai problème car certains ne reconnaissent pas aujourd’hui le traité de Waitangi. Certes, il a mis fin à une guerre, mais au prix d’une population clivée jusqu’à aujourd’hui, même si les relations entre descendants pakehas (étrangers comme ils disent) et Maoris s’améliorent nettement.

Il y a toujours des problèmes entre les croyances indigènes et la réalité économique du monde dans lequel ils vivent. Par exemple, cette histoire de baleines qui s’échouent. Les Maoris y voient des ancêtres revenus dont il faut saluer la mémoire et souhaitent récupérer les os. Mais les scientifiques veulent connaître la raison de cet événement (la réponse est souvent le plastique contenu dans les estomacs des cétacés) qu’il faut enregistrer. Personne ne pense à mal, mais c’est souvent source de conflits. Cette capacité à voir dans le monde un certain enchantement, alors que nous sommes toujours plus rationalisés, ça m’émerveille, j’avoue.

Même si l’intrusion presque anecdotique d’un quatre-quatre dans ton récit place celui-ci dans une époque contemporaine, je trouve que ton texte est atemporel, tel un conte qui sublime le présent comme le passé pour en faire une leçon de vie. J’y vois l’écho d’une transmission orale de légendes fondatrices d’une culture. Qu’en penses-tu ? Est-ce là une résurgence de ton travail passé de guide-conteur ?

Alors, j’ai essayé de mettre quelques marqueurs temporels comme le quatre-quatre au début de la nouvelle ou la mention du krach de 1929 au détour d’une phrase. Dans un sens, le récit n’est pas à proprement parler atemporel, mais je voulais le situer dans une bulle hors du monde qui permettait à l’histoire de s’écrire sans devoir subir de pressions extérieures. Ce qui évidemment ne peut pas arriver, comme en témoigne l’arrivée de James Taylor qui agit un peu comme un électrochoc dans cet espace-temps qui ne se quantifie plus à partir de l’incendie de la scierie.

Ce caractère difficile à quantifier, c’est quelque chose que j’essaie de travailler dans la plupart de mes textes. On est à un âge où on peut remonter précisément tout ce qui se passe grâce à la maîtrise des outils informatiques et numériques. Revenir à quelque chose un peu hors du temps agit comme un pansement face à toutes ces données qui décomptent réellement nos vies. Cela vient peut-être de la parenthèse « guide-conteur » de mon parcours, mais j’avoue que je n’avais jamais trop mis le doigt là-dessus en tant que jalon amenant à ce type de récits. Il y a sans doute de l’influence, mais le besoin de sortir du monde est présent dans d’autres aspects de ma vie, que ce soit en tant que rôliste ou dans mes randonnées en autonomie (notamment en Nouvelle-Zélande).

 

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Image de BiancaVanDijk

 

Après une brève introduction, Kauri, ton héros, nous ramène à ses onze ans et son premier amour qui signera sa destinée. Au-delà du récit, peux-tu nous parler un peu plus de ce jeune Kauri ? De comment tu l’as imaginé ?

Il s’est un peu imposé tout seul, ce Kauri, dans cette histoire. Je voulais que le personnage ne soit pas totalement blanc, et je crois avoir réussi à le nuancer assez. De même, je voulais qu’on épouse son point de vue. Si je pouvais, j’écrirais bien la nouvelle du point de vue de Hunapo avec un son de cloche différent. L’idée que le premier narrateur ne soit pas forcément fiable en tant que source est un des aspects hérités de ma fascination pour le Trône de fer de George R. R. Martin. Certains de ses personnages ont des souvenirs inventés. Je voulais essayer de toucher ça. L’évolution de Kauri pour devenir le graveur d’os est venue toute seule, un peu comme son nom. Le kauri est un arbre centenaire, voire millénaire, en Nouvelle-Zélande et il n’en reste que peu de spécimens aujourd’hui, condamnés par une maladie. Quelque part, la civilisation maorie rejoint l’environnement immédiat qui, s’il n’est pas condamné, va quand même dans une direction plutôt inquiétante aujourd’hui. C’est ce que je voulais associer dans le cadre de cette nouvelle.

Je te remercie pour cet entretien, Christophe, et comme c’est notre habitude pour ces échanges kelachiens, je te laisse le mot de la fin.

Eh bien, merci aux éditions Kelach pour leur confiance et le travail fourni, car il y a eu pas mal d’allers-retours sur la nouvelle. Je suis très content de faire partie de cet appel à textes, et j’ajouterai que pour ceux qui souhaiteraient continuer à me suivre dans des histoires de contes et légendes de Nouvelle-Zélande revisitées, vous me retrouverez dans Dimension merveilleux fantastique 6 chez Rivière Blanche, où cette fois j’explore la facette volcanique du panthéon maori !

 

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